Loi Guizot du 28 juin 1833,
sur l’enseignement primaire
LOUIS-PHILIPPE, ROI DES FRANÇAIS, à tous présents et à venir, SALUT.
Nous avons proposé, les Chambres ont adopté, NOUS AVONS ORDONNÉ et ORDONNONS ce qui suit :
TITRE PREMIER
De l'Instruction primaire et de son objet
Article 1er : L'instruction primaire est élémentaire ou supérieure. L'instruction primaire comprend nécessairement l'instruction morale et religieuse, la lecture, l'écriture, les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures. L'instruction primaire supérieure comprend nécessairement, en outre, les éléments de la géométrie et ses applications usuelles, spécialement le dessin linéaire et l'arpentage, des notions de sciences physiques et de l'histoire naturelle applicable aux usages de la vie ; le chant, les éléments de l'histoire et de la géographie, et surtout de l'histoire et de la géographie de la France. Selon les besoins et les ressources des localités, l'instruction primaire pourra recevoir les développements qui seront jugés convenables.
Article 2 : Le vœu des pères de famille sera toujours consulté et suivi en ce qui concerne la participation de leurs enfants à l'instruction religieuse.
Article 3 : L'instruction primaire est ou privée ou publique. [...]
TITRE III
Des Écoles primaires publiques
Article 8 : Les écoles primaires publiques sont celles qu'entretiennent, en tout ou en partie, les communes et les départements ou l'État.
Article 9 : Toute commune est tenue, soit par elle-même, soit en se réunissant à une ou plusieurs communes voisines, d'entretenir au moins une école primaire élémentaire. [...]
Article 10 : Les communes, chefs-lieux de département, et celles dont la population excède six mille âmes, devront avoir en outre une école primaire supérieure.
Article 11 : Tout département sera tenu d'entretenir une école normale primaire, soit par lui-même, soit en se réunissant à un ou plusieurs départements voisins. Les conseils généraux délibéreront sur les moyens d'assurer l'entretien des écoles normales primaires. [...]
Article 12 : Il sera fourni à tout instituteur communal,
1. Un local convenablement disposé, tant pour lui servir d'habitation, que pour recevoir les élèves ;
2. Un traitement fixe, qui ne pourra être moindre de deux cents francs pour une école primaire élémentaire, et de quatre cents francs pour une école primaire supérieure. [..
Article 14 : En sus du traitement fixe, l'instituteur communal recevra une rétribution mensuelle dont le taux sera réglé par le conseil municipal, et qui sera perçue dans la même forme et selon les mêmes règles que les contributions publiques directes. Le rôle en sera recouvrable, mois par mois, sur un état des élèves certifié par l'instituteur, visé par le maire, et rendu exécutoire par le sous-préfet. Seront admis gratuitement, dans l'école communale élémentaire, ceux des élèves de la commune, ou des communes réunies, que les conseils municipaux auront désignés comme ne pouvant payer aucune rétribution.
Article 15 : Il sera établi dans chaque département une caisse d’épargne et de prévoyance en faveur des instituteurs communaux. Les statuts de ces caisses d’épargne seront déterminés par des ordonnances royales. Cette caisse sera formée par une retenue annuelle d’un vingtième sur le traitement fixe de chaque instituteur communal. Le montant de la retenue sera placé au compte ouvert au trésor royal pour les caisses d’épargne et de prévoyance et les intérêts de ces fonds seront capitalisés tous les six mois. Le produit total de la retenue exercée sur chaque instituteur lui sera rendu à l’époque où il se retirera, et en cas de décès dans l’exercice de ses fonctions, à sa veuve ou à ses héritiers. [...]
TITRE IV
Des Autorités préposées à l’Instruction primaire
Article 17 : Il y aura près de chaque école communale un comité local de surveillance composé du maire ou adjoint, président, du curé ou pasteur, et d’un ou plusieurs habitants notables désignés par le comité d’arrondissement. [...]
Article 18 : Il sera formé dans chaque arrondissement de sous-préfecture un comité spécialement chargé de surveiller et d’encourager l’instruction primaire. [...]
Article 19 : Sont membres des comités d’arrondissement :
. Le maire du chef-lieu ou le plus ancien des maires du chef-lieu de la circonscription
. Le juge de paix ou le plus ancien juge de paix de la circonscription ;
. Le curé ou le plus ancien des curés de la circonscription ;
. Un ministre de chacun des autres cultes reconnus par la loi
. Un proviseur, principal de collège, professeur, régent, chef d’institution, ou maître de pension, désigné par le ministre de l’instruction publique, lorsqu’il existera des collèges, institutions ou pensions dans la circonscription du comité ;
. Un instituteur primaire, résidant dans la circonscription du comité, et désigné par le ministre de l’Instruction publique ;
. Trois membres du conseil d’arrondissement ou habitants notables désignés par ledit conseil;
. Les membres du conseil général du département qui auront leur conseil réel dans la circonscription du comité. [...]
Article 20 : Les comités s’assembleront au moins une fois par mois. [...]
Article 21 : Le comité communal a inspection sur les écoles publiques ou privées de la commune. Il veille à la salubrité des écoles et au maintien de la discipline, sans préjudice des attributions du maire, en matière de police municipale. Il s’assure qu’il a été pourvu à l’enseignement gratuit des enfants pauvres. Il arrête un état des enfants qui ne reçoivent l’instruction primaire ni à domicile, ni dans les écoles privées ou publiques. Il fait connaître au comité d’arrondissement, les divers besoins de la commune sous le rapport de l'instruction primaire. En cas d’urgence, et sur la plainte du comité communal, le maire peut ordonner provisoirement que l’instituteur soit suspendu de ses fonctions, à la charge de rendre compte, dans les vingt-quatre heures, au comité d’arrondissement , de cette suspension, et des motifs qui l’ont déterminée. [...]
Article 22 : Le comité d’arrondissement inspecte, et au besoin fait inspecter, par des délégués pris parmi ses membres ou hors de son sein, toutes les écoles primaires de son ressort. [...] Il envoie chaque année au préfet et au ministre de l’Instruction publique l’état de la situation de toutes les écoles primaires du ressort. Il donne son avis sur les secours et les encouragements à accorder à l’instruction primaire. Il provoque les réformes et les améliorations nécessaires. Il nomme les instituteurs communaux sur la présentation du conseil municipal, procède à leur installation, et reçoit leur serment. Les instituteurs communaux doivent être institués par le ministre de l’instruction publique.
Article 23 : En cas de négligence habituelle, ou de fait grave de l’instituteur communal, le comité d’arrondissement ou d’office, ou sur la plainte adressée par le conseil communal mande l’instituteur inculpé ; après l’avoir entendu ou dûment appelé, il réprimande ou le suspend pour un mois avec ou sans privation de traitement, ou même le révoque de ses fonctions. [...] Pendant la suspension de l’instituteur, son traitement, s’il en est privé, sera laissé à la disposition du conseil municipal, pour être alloué, s’il y a lieu à un instituteur remplaçant. [...]
La présente loi, discutée, délibérée et adoptée par la Chambre des Pairs et par celle des Députés, et sanctionnée par nous ce jourd’hui, sera exécutée comme loi de l’État.
DONNONS EN MANDEMENT à nos Cours et Tribunaux, Préfets, Corps administratifs, et tous autres, que les présentes gardent et maintiennent, fassent garder, observer et maintenir, et, pour les rendre plus notoires à tous, ils les fassent publier et enregistrer partout ou besoin sera ; et, afin que ce soit chose ferme et stable, nous y avons fait mettre notre sceau.
Fait à Paris, le 28ème jour du mois de juin 1833.
Signé
LOUIS-PHILIPPE
Vu et scellé du grand sceau
Le Garde des Sceaux de France,
Ministre Secrétaire d’État au département de la Justice,
Signé,
BARTHE
Par le roi,
Le Ministre Secrétaire d’État au département de l’Instruction publique
Signé,
GUIZOT.